Le collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation » a été initié par ISF-Agrista en 2019, à partir du travail réalisé par l’association pour transformer l’idée en piste de projet. L’objectif était tout d’abord de formaliser les échanges bilatéraux qui avaient permis l’élaboration des premières lignes du projet en proposant une mise en commun de travaux complémentaires pour l’état des lieux des enjeux d’une Sécurité sociale de l’alimentation, puis d’élaborer et de porter ensemble le projet d’une Sécurité sociale de l’alimentation.
D’où vient l’idée ?
Le travail sur ce thème a commencé en 2017 pour ISF-Agrista, porté par Mathieu Dalmais, au croisement entre trois dynamiques préexistantes : les deux premières insistant sur la nécessité de penser une socialisation de l’alimentation pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires, la troisième proposant une piste pour cela, cette du fonctionnement du régime général de Sécurité sociale entre 1946 et 1958. Si Bernard Friot a le premier présenté ces réflexions dans l’espace médiatique, la volonté, la construction ou l’idée de porter ce projet ne viennent pas de lui !
1) L’impossible transformation de l’agriculture sans mettre en œuvre des politiques alimentaires
Mis en avant par la campagne « Manger à quel prix / Produire à quel prix ? » de la Confédération paysanne ainsi que par les travaux de Réseau Civam, ce constat a conduit à la nécessité de penser une élaboration démocratique de la demande alimentaire structurant l’offre et d’assurer l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité afin d’envisager toute transformation agricole. En effet, la coexistence des modèles agricoles n’est pas suffisante pour remettre en cause le système agro-industriel, loin de là : il s’agit d’un état permanent de prédation du système agro-industriel sur toutes les formes d’alternatives, rendues inoffensives – mais non moins pertinentes. Les modes de consommation les plus vertueux, qui font vivre ces alternatives, sont loin d’être accessibles à tous et toutes, en témoigne l’importance de l’aide alimentaire et l’insatisfaction grandissante d’une part importante de la population, plus de 20%, sur son alimentation contrainte économiquement.
2) La nécessité de dépasser l’aide alimentaire et de penser l’accès de tous et toutes à une alimentation choisie
Mise en lumière par les travaux de recherche de Dominique Paturel autour d’un service public de l’alimentation, de Magali Ramel et d’ATD Quart Monde ainsi que lors du projet Accessible, porté par Réseau Civam, cette nécessité nous amène vers le droit à l’alimentation. Non appliqué en France, ce dernier ne peut se satisfaire d’un fonctionnement où les personnes n’ont pas le choix de leur alimentation comme dans l’aide alimentaire, qui n’est qu’une possibilité d’être nourri. Les violences alimentaires qui s’installent de part le non respect de ce droit ont renforcé notre volonté de proposer un autre système d’accès à l’alimentation. La notion de droit à l’alimentation durable, insistant sur la nécessité de questionner et de relier le droit à l’alimentation aux questions de production agricole, renforçait l’idée de relier agriculture et alimentaire et de porter la revendication de démocratie alimentaire de façon systémique, pour l’ensemble du système de l’alimentation.
De plus, en précisant le rôle de l’aide alimentaire comme soutien de l’agro-industrie, ces deux convictions convergent ! Elles ont donc convaincus les membres d’ISF-Agrista que la transformation des mondes agricoles et alimentaires passe par la mise en place d’une démocratie alimentaire, assurant l’orientation de la production agricole pour nourrir la population et l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité, c’est-à-dire choisie par les personnes. Des objectifs ambitieux mais à la hauteur des enjeux, et des objectifs auxquels il s’agissait de donner corps !
3) L’institution d’une organisation démocratique de l’économie de la santé, tout en assurant le droit à la santé, grâce à la branche maladie du régime général de sécurité sociale entre 1946 et 1959.
Lors des Rencontres de la solidarité Internationale et de la citoyenneté organisées par Ingénieur·es sans frontières en 2015, un atelier avait été organisé pour réfléchir à l’organisation d’un fonctionnement démocratique de l’économie, suite à la découverte des travaux de Réseau salariat et de Bernard Friot sur le régime général de Sécurité sociale. Universalité de l’accès, caisses démocratiques de conventionnement, financement par cotisation… Des mécanismes à mettre au service d’un pilotage démocratique de l’économie ! D’autres réflexions ont émergé lors d’une rencontre entre Réseau salariat et la Confédération paysanne nationale autour d’un « salaire à vie » paysan : la nécessité de socialiser l’alimentation est plus présentable pour un paysan en lui proposant le même statut que les médecins libéraux, plutôt que celui de fonctionnaire !
Petit à petit, l’idée d’utiliser un mécanisme similaire à celui mis en place pour la branche santé en 1946, tout en l’améliorant pour prévenir des attaques et dérives qui sont apparues par la suite, s’est imposée au sein d’ISF-Agrista pour concrétiser la revendication de la mise en place d’une démocratie alimentaire.
Que mettez-vous en place pour faire avancer ce projet ?
Après une première année de réflexion (mai 2017 – mai 2018) au sein d’ISF-Agrista, la conviction de tenir un projet pertinent pour porter l’idée de démocratie alimentaire nous a poussé à envisager la publication d’une ébauche, à même de lancer les réflexions collectives. De mai 2018 à février 2019, grâce à des échanges bilatéraux avec des futurs membres du collectifs et chercheurs sur ces questions (dont Bernard Friot que nous avions sollicité), la première version du projet de SSA a vu le jour. Pendant ce temps, Réseau salariat a commencé les réflexions en interne sur l’idée de Sécurité sociale de l’alimentation, lors des estivales 2018. Une rencontre a eu lieu en mars 2019 entre des membres d’ISF-Agrista et de Réseau salariat, ainsi que différentes personnes intéressées, pour faire avancer les réflexions ensemble. Pendant ce temps toujours, Dominique Paturel organisait le séminaire démocratie alimentaire et les travaux circulaient, notamment via les Amis de la Confédération paysanne.
La deuxième étape franchie a été d’organiser un collectif de travail avec l’ensemble des organisations qui souhaitaient avancer avec nous sur cette idée. En novembre 2019, ISF-Agrista a organisé des rencontres sur le domaine de la Bergerie de Villarceaux grâce au soutien de la Fondation pour le progrès de l’Homme (FPH). Réseau Civam, la Confédération paysanne, Réseau salariat, les Amis de la Confédération paysanne, le Miramap, le séminaire Démocratie alimentaire et l’Ardeur ont alors décidé de s’engager dans un collectif de travail autour d’une Sécurité sociale de l’alimentation.
D’autres organisations nous ont rejoint par la suite (le Secours Catholique, l’Ufal, Mutuale, l’Atelier paysan, VRAC) et d’autres sont amenées à nous rejoindre encore. Petit à petit, la plupart de ces organisations se sont mises à porter le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, avec un socle commun partagé entre toutes, et des réflexions différentes mises en avant suivant les domaines de travail de chacun.
Parallèlement à l’avancée des travaux sur le fond, la part la plus importante de l’énergie dont nous disposons a été consacrée à faire de l’éducation populaire sur les questions agricoles et alimentaires. Ce projet ne se fera pas sans une appropriation par les citoyens ! Vidéos, articles, ateliers, jeux de rôle et conférences gesticulées ont été produits… Et de nombreuses interventions pour des temps publiques ou des temps de formation pour lesquels nous essayons de nous rendre disponibles.
Contactés par de nombreuses organisations locales, collectifs, associations, listes de mairies ou même collectivités territoriales qui souhaitent « expérimenter » une Sécurité sociale de l’alimentation sur leur territoire, la troisième étape a été de réfléchir à l’articulation entre toutes ces dynamiques, et de mettre en lien ces énergies. Si une expérimentation locale en bonne et due forme d’un projet d’ampleur nationale ne nous semble pas envisageable, continuer à créer des savoirs collectifs vers une démocratie alimentaire est une façon de défendre la mise en œuvre du projet. Ces savoirs seront même indispensables pour assurer sa pérennité par la suite. C’est pourquoi nous avons produit un cadre de mise en commun, d’accompagnement, d’analyse et de suivi de ces expérimentations, et avons cherché des moyens pour animer ce réseau.
Aujourd’hui, nous continuons à travailler sur notre socle commun, et aimerions également pousser plus loin la modélisation du projet, ce que pourrait donner les différents scénarios de mise en œuvre envisagée. Différentes thématiques sont en train d’être approfondies, avec l’aide de partenaires, pour rendre le projet toujours plus concret et possible aux yeux de tous et toutes. Nous souhaitons également traduire notre socle commun dans une proposition de loi, pour ne pas être dépossédé par qui que ce soit de notre travail.
Organisation de débats politiques pour définir un socle commun, réflexion sur l’accompagnement d’expérimentations locales de démocratie alimentaire, travail de modélisation économique, communication, éducation populaire… toutes ces actions sont aujourd’hui menées par des petits groupes de bénévoles. N’hésitez pas à nous rejoindre !
Pourquoi avoir construit ce projet, le porter aujourd’hui ?
L’agriculture et l’alimentation regorgent d’alternatives au système de production industriel, dont la population est de plus en plus consciente des dégâts qui ne sont plus à démontrer. Mais la problématique de l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité est encore trop peu ancrée, dominée par des slogans expliquant que manger bio ne coûte pas plus cher et qu’avoir une alimentation de qualité ne serait qu’une question de volonté. Au mieux, elle est intégrée sans compréhension systémique du droit à l’alimentation, avec de fausses bonnes idées comme l’amélioration qualitative de l’aide alimentaire ou l’augmentation des minimas sociaux.
De plus, participants à promouvoir des alternatives agricoles et d’autres modes de production, nous faisons le constat d’un manque de perspectives de transformation sociale d’un bon nombre d’initiatives baignées d’une culture du changement de soi, à petite échelle, et d’une diffusion qui fait tâche d’huile ; certaine mais insuffisante.
Convaincus que l’on ne peut faire de transformation écologique sans transformation sociale, et qu’une politique pour les pauvres est avant tout une politique excluante mettant une partie de la population dans un régime d’exception et renonçant ainsi à lutter contre les causes de la pauvreté (qui se justifie en cas d’urgence mais non dans un système durable), nous avons souhaité nous engager dans l’élaboration d’une politique pensée pour tous les citoyens.
Au delà de l’idée, ce constat d’une nécessaire démocratie alimentaire nous semblait difficile à porter sans proposer un modèle dans lequel celle-ci pourrait prendre forme. Proposer un projet d’institution au service de la démocratie alimentaire nous a semblé le meilleur moyen de défendre notre conviction.
La première finalité de notre engagement dans ce projet est d’ouvrir le débat sur ces enjeux auprès de toutes celles et ceux qui revendiquent de porter une transformation agricole et alimentaire. Cette proposition porte en elle une vision systémique de transformation de l’ensemble du système alimentaire. Si jamais elle devait ne pas être retenue ou acceptée largement demain, parce qu’une autre serait plus appropriée, nous serions ouvert·es à en discuter… Mais nous la portons aujourd’hui car elle permet de proposer un pouvoir d’agir aux citoyens à même de transformer l’ensemble du système agroalimentaire sans laisser de côté une partie des données du problème.
Enfin, c’est un projet qui permet de relier perspectives de transformation sociale et réappropriation par les citoyens, une invitation à ce que tout le monde, où qu’il ou elle soit, participe et crée des petites “caisses de Sécurité sociale de l’alimentation” sur son territoire… Pour s’inscrire dans un mouvement global !
Les principales productions
12 Juillet 2018 | Crash test de la conférence gesticulée « De la fourche à la fourchette…Non ! L’inverse !! Pour une sécurité sociale de l’alimentation » par Mathieu Dalmais, membre d’ISF-Agrista, et discussions à cette occasion avec Bernard Friot. |
25 Octobre 2018 | Première médiatisation de l’idée de Sécurité sociale de l’alimentation par Bernard Friot, lors de l’émission « La finance a-t-elle pris le pouvoir » diffusée par Le Média. |
16 Février 2019 | Première tribune annonçant le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, publiée dans Basta mag par ISF-Agrista, pour annoncer la première version du projet sortie quelques jours avant. |
Février 2020 | Publication des réflexions de Réseau salariat autour du projet de Sécurité sociale de l’alimentation dans la revue les Utopiques de Solidaires. |
18 mai 2020 | Publication dans Reporterre d’une tribune signée par Réseau Civam et ISF-Agrista présentant pour la première fois le collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation » et le début de son socle commun |
Octobre 2020 | Publication d’un article rédigé par Jean-Claude Balbot (Réseau Civam), Yan Vanherzeele (Réseau salariat) et Mathieu Dalmais (ISf-Agrista) « La démocratie dans l’alimentation, seule réponse possible aux enjeux agricoles et alimentaires » dans la revue Raison présente |
Janvier 2021 | Manger, Plaidoyer pour une Sécurité sociale de l’alimentation, plaidoyer de Dominique Paturel et Marie-Noëlle Bertrant pour appeler à reprendre le pouvoir sur notre alimentation |
Mai 2021 | Reprendre la terre aux machines, ouvrage collectif de l’Atelier paysan qui détaille les impasses actuelles de transformation agricole et appelle à la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation |
Mai 2021 | Conférence de presse organisée par le collectif pour présenter la finalisation du socle commun |
Juillet 2021 | « Encore des patates !?« , Bande dessinée conçue par ISF-Agrista et portée par le collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation pour vulgariser le socle commun élaboré par le collectif. |